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Le carnet de Robin – Nohema, patrimoine vivant de Colombie.

Chères lectrices, chers lecteurs,

Cela fait trois mois que je réside à Zapatoca, trois mois déjà ! Dans ce village où le printemps est éternel je ressens comme un vent d’hiver balayer la campagne. A l’approche des fêtes, les décorations illuminent la ville et on se réunit en famille ou entre voisins pour chanter des chansons à la lumière des chandelles. Au sein de cette culture profondément chrétienne, nous ne pouvons qu’être touchés par la joie des colombiens de vivre ce mois de grâce qui a vu la naissance du petit Jésus.

Pour ce carnet de bord, je vous propose de laisser la parole à une dame très estimée à Zapatoca. Il se trouve que c’est ma voisine et ses histoires m’ont touché plus d’une fois. Je désirais donc vous partager ce qu’elle a pu me raconter et vous transmettre ainsi un peu d’essence de ce village colombien.

Nohema, patrimoine vivant de Colombie.

« Vous voulez que je vous raconte mon histoire complète ? Bon d’accord on va voir ce que l’on peut faire…

Mon histoire c’est que depuis petite je travaille le Pauche, je suis fille d’artisans qui travaillaient le Pauche et je l’ai ensuite enseigné à ma sœur, à mes six enfants, à mes petits-enfants…

J’ai grandi dans une ferme dans la campagne de Zapatoca. Assez loin du village oui. Notre voisin le plus proche était à une heure de marche et l’école à quatre heures. Notre père nous laissait donc le lundi à l’école avec à manger pour la semaine et nous restions dormir avec l’institutrice. Puis on rentrait le week-end aider maman, papa se rendait au village pour vendre la récolte et l’artisanat. Mes parents taillaient le Pauche mais ils faisaient aussi plein d’autres choses. Ma mère tressait des chapeaux en Ipahapa mais on n’en trouve plus, toutes les femmes qui savaient les faire sont ne sont plus.

Nous n’avions pas beaucoup de jouets mais nous n’avons jamais manqué de rien. Nous avions une grande marmite dans laquelle nous pouvions tous les jours ajouter des haricots et du maïs récolté le matin même. J’aimais bien cuisiner moi, j’avais échangé cette tâche avec ma sœur contre la couture. J’ai toujours détesté les aiguilles ! J’aimais bien m’occuper des animaux aussi. Lorsqu’il fallait attraper les chèvres c’est moi qu’on envoyait. Nous étions tous copains avec les enfants des fermes voisines, on formait comme une grande famille, jamais une seule dispute ni rien. Entre le 8 décembre et le 6 janvier c’était toujours super, on venait nous rendre visite ou alors c’est nous qui partions. Et puis c’est à Noël qu’on nous offrait une ou deux nouvelles tenues de vêtements. Le reste de l’année on ne s’ennuyait pas, il y avait du travail, beaucoup de travail. Et puis nous étions très pratiquants, tous les jours, peu importe c que nous faisions nous nous arrêtions pour prier. Nous priions le Santo Rosario à 4h du matin puis à midi l’Ave Maria et à 18 heures aussi et on ne manquait jamais le Rosario du soir.

Ma mère était un peu la médecin des alentours, elle connaissait les plantes et vous savez enfant on copie tout ce que font les parents. Mon père était bien ami avec la mère supérieure, et lorsque j’ai eu onze ans elle lui a dit « laisse-moi la petite à l’hôpital, elle est futée, elle apprendra bien. ». Je suis donc devenu infirmière. C’est vrai que j’étais un peu jeune, j’y suis resté jusqu’à seize ans. Mais ça me plaisait bien et puis j’adorais les fêtes ! Je ne m’arrêtais jamais de danser. Puis j’ai fait la bêtise de tomber amoureuse, je me suis mariée et on est parti travailler près du village voisin. Là c’était dur. J’étais toute ronde en quittant le village mais je suis vite devenue toute maigre. Nous étions deux pour préparer tous les jours à manger pour les soixante ouvriers agricoles. On a vécu là-bas jusqu’à ce que les guérilleros arrivent. Ils nous ont tous mis en ligne avec le pistolet sur la tempe et ils nous ont dit que nous avions vingt-quatre heures pour partir.

Nous avons perdu beaucoup de choses ce jour-là mais nous avons trouvé refuge chez un cousin de l’autre côté de la vallée. Nous travaillions dans une laiterie, là non plus ce n’était pas facile.

Je travaille le Pauche parce que je sais le faire depuis que je sais marcher et ce qu’il y a de bien c’est qu’on peut travailler depuis la maison. Mon mari travaillait dans les champs et il ne nous envoyait pas beaucoup d’argent et il ne voyait pas l’intérêt que nos enfants étudient. Il fallait donc que je subvienne à nos besoins et j’ai ainsi pu enseigner quelque chose à ma famille pour qu’elle puisse se débrouiller ensuite. Il faut pouvoir compter sur soi, c’est toujours ce que j’ai voulu qu’ils comprennent.

Le Pauche pousse plus en hauteur, je vais le chercher sur les sommets de Zapatoca. Je récupère l’intérieur de la tige et je la taille avec un couteau puis je la ponce. Tu crois que c’est facile ? Essaye un peu pour voir, il te faudra plus d’une coupure avant d’arriver à lui donner une forme. Mes parents m’ont aussi enseigné à faire des peintures avec ce que l’on trouve dehors. Le seul problème c’est qu’avec le soleil et la pluie elle ne tient que quelques semaines. J’achète donc de la peinture pour ceux qui veulent mettre le Pauche dans le jardin et je peins avec les peintures naturelles pour l’intérieur.

La plante Pauche

Ah et avec ça le gouverneur m’a remis le titre de patrimoine vivant de la nation. C’est qu’en dehors de ma famille, très peu de personne savent encore travailler le Pauche. Oui et puis j’ai participé à différents concours de cuisine. J’ai gagné celui municipal puis départemental… Le dernier que j’ai fait était à 27 heures de route. Ah c’était loin mais je ne pouvais pas emmener mon matériel dans l’avion. Nous étions très nombreux à ce concours et il y avait un jury de 64 chefs ! A la fin nous n’étions plus qu’une dizaine et seulement deux du Santander. Pour déclarer qui était le vainqueur les chefs ont tout à coup sorti chacun un petit drapeau. Quelle émotion de voir surgir 64 drapeaux de Zapatoca. J’étais très heureuse oui.

Et tiens, on m’a proposé de devenir cheffe en France d’ailleurs. Mais qu’est-ce que j’irai faire là-bas moi ? Déjà je ne parle pas la langue, comment est-ce qu’on me comprendrait ? Puis je cuisine avec des produits de Colombie moi, votre maïs et vos volailles ne doivent pas être les mêmes… C’est vrai que ça pourrait être très chouette de connaitre la France mais c’est aux jeunes de voyager. Je leur ai dit que pour l’instant j’étais occupée à autre chose…

Bon voilà l’histoire, je ne sais pas si elle te va comme ça pour votre article. Si ? Tant mieux, sinon tu pourras repasser, j’en ai plein d’autres à raconter ! »

Robin

 

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